Le lancement de la mission Artemis 1 de la NASA sur la Lune en novembre a marqué une nouvelle étape dans le voyage qui conduira un jour les humains à visiter notre voisin planétaire le plus proche, Mars. Une mission humaine suivra éventuellement dans la foulée de plusieurs engins spatiaux robotiques, dont le plus récent a été l'atterrissage du rover Persévérance sur la planète rouge en février 2021. Pour les voyages humains vers Mars, il y a de nombreux problèmes technologiques à résoudre, les principaux parmi elles étant la protection contre le rayonnement solaire et la santé de l'équipage, y compris la meilleure façon de fournir des aliments nutritifs. L'objectif et le défi pour de nombreux experts qui étudient ce dernier est de savoir comment éviter les carences latentes causées par la consommation constante d'aliments lyophilisés. La disponibilité d'aliments frais sera évidemment un avantage sanitaire et psychologique majeur, et pour cela il faudra cultiver et récolter des plantes en cours de route. Dans cet article, les auteurs passent en revue les données et les recherches actuelles concernant la nutrition, les avantages médicaux et psychologiques et les méthodes possibles de culture dans l'espace lointain.
Selon la NASA, cinq dangers majeurs apparaissent lors de longs vols spatiaux : le rayonnement spatial, l'isolement et le confinement, l'éloignement de la Terre, la faible gravité et l'environnement hostile et fermé d'un engin spatial. Les plantes vivantes et les aliments fraîchement cultivés pourraient jouer un rôle majeur dans le soutien de trois d'entre eux : la nutrition, les besoins médicaux et la psychologie de l'équipage.
Nutrition
L'équilibre nutritionnel des aliments fournis pour les missions spatiales doit être parfaitement adapté pour qu'un équipage puisse effectuer un long voyage en bonne santé
L'équilibre nutritionnel des aliments fournis pour les missions spatiales doit être parfaitement adapté pour qu'un équipage puisse effectuer un long voyage en bonne santé. Comme les réapprovisionnements depuis la Terre seront difficiles, déterminer exactement le bon régime alimentaire et sa forme précise est un objectif critique.
Éviter toute carence en nutriments essentiels est le défi le plus évident, et les besoins nutritionnels détaillés ont été étudiés par la NASA. Cependant, une grande partie du «système alimentaire» spatial actuel s'est avéré déficient. En effet, la longue conservation ambiante des aliments induit la dégradation des vitamines A, B1, B6 et C.
La perte de poids moyenne cumulée pour les astronautes est de 2.4% par 100 jours en microgravité, même avec des contre-mesures d'exercice résistives strictes. Il a également été démontré que les astronautes souffrent de carences nutritionnelles en potassium, calcium, vitamine D et vitamine K car les aliments fournis ne leur permettent pas de répondre aux besoins quotidiens.
Les plantes contiennent naturellement des vitamines et des minéraux, et la consommation immédiate d'aliments frais éviterait le problème du stockage. Les consommer serait donc un excellent complément aux aliments lyophilisés.
L'astronaute Scott Kelly a soigné des zinnias spatiaux mourants sur l'ISS. Il a photographié un bouquet de fleurs dans la Coupole sur fond de Terre et a partagé la photo sur son Instagram pour la Saint-Valentin en 2016.
et Médicales
En plus des vitamines et des minéraux, les plantes synthétisent de nombreux métabolites secondaires différents. Ces composés pourraient être d'une grande aide dans la prévention des problèmes de santé. Par exemple, le folate est impliqué dans la réparation de l'ADN, mais ses besoins ne sont satisfaits que pendant 64 % des jours de vol. Comme les télomères, l'extrémité des chromosomes, se sont avérés altérés de manière significative pendant les longs vols, une supplémentation en folate via des plantes fraîches pourrait aider à réduire le vieillissement génétique et les cas de cancer.
Entre autres exemples, les légumes riches en caroténoïdes pourraient prévenir la distorsion oculaire causée par la microgravité, tandis qu'un régime à base de prunes séchées peut aider à prévenir la perte osseuse induite par les radiations. De nombreuses plantes contiennent des antioxydants qui peuvent être d'une grande aide pour protéger l'ADN humain des mutations radio-induites. Cependant, une alimentation à base de plantes n'est pas suffisante et d'autres solutions doivent être développées pour protéger les astronautes des radiations.
Psychologie
En plus des vitamines et des minéraux, les plantes synthétisent de nombreux métabolites secondaires différents
Comme l'isolement et la distance mettront à rude épreuve la santé mentale des astronautes, le repas est l'un des moments les plus importants pour se détendre. Manger des aliments lyophilisés à chaque repas crée une fatigue du menu et les astronautes ont tendance à manger moins au fil du temps. Manger des aliments frais peut réduire cette fatigue, notamment en offrant une variété de formes et de textures.
Une autre activité bénéfique pour la santé mentale de l'équipage est l'horticulture. Il a été prouvé que la culture de plantes a des effets extrêmement bénéfiques, car elle peut donner aux astronautes l'impression de voyager avec un morceau de Terre. Certaines études ont tenté de trouver les plantes aux effets psychologiques les plus bénéfiques, car elles pourraient être un facteur très important pour la santé mentale de l'équipage. Par exemple, les fraises peuvent améliorer les réponses psychologiques positives, telles que la vigueur et l'estime de soi, réduire la dépression et le stress, tandis que la coriandre pourrait améliorer la qualité du sommeil.
Ainsi, l'agriculture spatiale végétale est intéressante sur le plan nutritionnel, psychologique et médical. Cependant, le manque de place et les conditions de culture particulières limitent le nombre et le choix des cultures.
Le choix réel des cultures utilisées variera en fonction des critères examinés et du domaine (nutrition, psychologie et médecine) privilégié. Certaines plantes à longue durée de conservation peuvent convenir, comme le blé ou la pomme de terre, mais présentent l'inconvénient de devoir être cuites avant consommation. Un autre facteur à considérer est le système reproducteur et le mode de pollinisation des plantes, car les animaux (comme les insectes) ne sont pas autorisés à bord.
Une liste de cultures potentielles à cultiver dans l'espace a été établie, dont certaines avaient déjà été cultivées à bord. Les auteurs ont retenu des critères nutritionnels et agronomiques comme outils de choix. Ainsi, pour les effets psychologiques, une valeur de un (min) à quatre (max) a été attribuée au goût et à l'apparence de la culture ou de la partie comestible de la plante.
Tableau des différentes cultures avec leurs caractéristiques nutritionnelles, médicales, agronomiques et psychologiques adaptées aux missions longues dans l'espace.
Cultiver des plantes dans un vaisseau spatial
L'espace présente deux sources majeures de stress pour les plantes : le rayonnement cosmique et la microgravité.
Les radiations affectent négativement la croissance des plantes et augmentent les risques de mutations génétiques. La protection des plantes contre les radiations devrait donc être une priorité. Si le rayonnement peut être contenu à l'aide de boucliers de plomb et/ou d'eau, cela représente une masse supplémentaire à placer en orbite. Une bonne solution, issue du camp de base de Lockheed Martin sur Mars (2018), consiste à utiliser le stockage de carburant comme bouclier anti-rayonnement.
La microgravité, en revanche, n'altère pas significativement la croissance des plantes, bien qu'elle puisse la ralentir. Cependant, la réponse de la plante diffère selon les espèces, car la microgravité affecte l'expression du génome de la plante. Il a été découvert qu'en microgravité, les plantes expriment davantage de gènes liés au stress, tels que les gènes de choc thermique, et augmentent leur production de protéines liées au stress. De plus, les graines ont des concentrations différentes de métabolites et une germination retardée.
La microgravité affecte également le microenvironnement de la plante, comme le manque de mouvement de l'atmosphère, créant une composition atmosphérique inhabituelle et une difficulté d'arrosage (avec ou sans support). Il n'y a pas de convection d'air dans l'espace extra-atmosphérique, donc si la station de culture n'est pas suffisamment ventilée, tout gaz émis par la plante restera autour de sa surface. Il a été démontré que l'accumulation d'éthylène gazeux autour des feuilles des plantes entraîne un développement anormal des feuilles. D'autres gaz, comme le dioxyde de carbone, présents en fortes concentrations dans un engin spatial, peuvent être mortels pour certaines plantes. Le même problème se pose pour l'arrosage des plantes, il faudra donc développer une méthode qui ne noie pas les racines.
La réponse de la plante à l'environnement spatial est plus difficile à évaluer. Certains aspects de cet environnement, comme l'espace restreint, peuvent orienter notre choix vers des variétés naines. Cependant, certains autres aspects comme la réponse de la plante à la microgravité varient selon les espèces et les variétés. Bien que les expérimentations doivent se poursuivre, un certain nombre de plantes ont déjà été testées et décrites comme capables de pousser dans l'espace et nous pouvons les utiliser comme base.
Le développement d'une chambre végétale autonome couvrant tous les besoins nutritionnels des astronautes pourrait prendre des décennies, mais l'utilisation de petites chambres comme mesures complémentaires pourrait aider l'équipage avec des carences en vitamines et nutriments (qui sont altérés dans les aliments emballés) et réduire la fatigue alimentaire.
Mark Vande Hei, Shane Kimbrough, Thomas Pesquet, Akihiko Hoshide et Megan McArthur du Space X Crew-02 posant avec leur récolte de piments rouges et verts dans l'ISS en 2021 pour l'enquête Plant-Habitat 04.
Système de support de vie biorégénératif
Manger des aliments lyophilisés à chaque repas crée une fatigue du menu et les astronautes ont tendance à manger moins avec le temps
Dans un vaisseau spatial, la place est limitée. Par conséquent, le succès de la mission dépend des systèmes régénératifs intégrés dans les Life Support Systems (LSS) qui peuvent recycler la matière usée en matière utilisable. Le système ECLSS (Environmental Control and Life Support System) installé dans la Station spatiale internationale (ISS) produit de l'oxygène et de l'eau en recyclant le dioxyde de carbone et l'urine. un système similaire sera nécessaire pour les longs vols spatiaux.
L'idée d'un LSS biorégénératif (BLSS) est née dans les années 1960 pour inclure la production alimentaire et le recyclage des déchets (par exemple, les matières fécales) vers l'ECLSS. Un BLSS avec des bactéries et des algues pourrait être utilisé pour recycler l'azote des déchets solides en une forme utilisable d'azote organique que les plantes pourraient absorber. Une expérience suivant ce principe - le Micro Ecological Life Support System Alternative (MELiSSA) - a été développée et menée par l'Agence spatiale européenne depuis les années 1990.
Cependant, comme nous incluons les plantes supérieures dans le BLSS, nous devrons étudier leur intégration avec les autres technologies de contrôle de l'environnement existantes, ce qui représente un nouveau défi. La détermination du coût et de la durabilité de ces petits systèmes de production vivrière fournira des informations essentielles pour évoluer vers un BLSS plus large.
Schéma de principe de la deuxième conception de l'unité de croissance des plantes à tube poreux.
Développement d'une chambre de croissance des plantes
L'utilisation d'un système hydroponique pour faire pousser des cultures est une possibilité intéressante, car il fait pousser des plantes dans l'eau au lieu de s'appuyer sur un système semblable au sol. Ce dernier ajoute du poids à l'engin spatial et le risque de voir des particules flotter, deux aspects qui le rendent désavantageux. L'Advanced Plant Habitat (APH) installé dans l'ISS a déjà cultivé une variété de blé nain en utilisant un système hydroponique avec un système d'arrosage par tube poreux intégré dans un module racinaire contenant de l'arcillite et un engrais à libération lente.
Pour faciliter les activités horticoles de l'équipage et s'assurer que les plantes poussent dans un environnement optimal, le cycle de culture des cultures doit être entièrement surveillé par un ordinateur. Un tel système de surveillance a été testé en 2018 en Antarctique. L'utilisation d'un système partiellement automatisé pour la culture des cultures garantira que l'équipage bénéficie de la présence de plantes dans le vaisseau spatial (en les manipulant) et évitera que l'agriculture ne devienne trop chronophage. En effet, l'espace nécessaire à la culture des plantes n'est pas encore précisément défini et plusieurs expérimentations dans des environnements de type spatial (comme le HI-SEAS) ont montré que cette activité peut devenir longue.
Il a été prouvé que la culture de plantes a des effets extrêmement bénéfiques, car elle peut donner aux astronautes l'impression de voyager avec un morceau de Terre
Enfin, le Vegetable Production System, ou Veggie, de la NASA (lancé en 2014), qui offre une surface de culture de 0.11 m², est un bel exemple d'unité de croissance végétale qui pourrait être utilisée à bord d'un vaisseau spatial, car elle a déjà été testée sur le ISS. En termes d'exigences lumineuses, les LED sont utilisées avec deux longueurs d'onde différentes : rouge (630 nm) et bleu (455 nm) car les plantes poussent plus efficacement sous ces longueurs d'onde. Une LED verte pourrait également être nécessaire pour donner à la plante sa couleur naturelle, facilitant ainsi l'identification des maladies et rappelant à l'équipage la Terre.
Mizuna (chou japonais), laitue romaine rouge et Tokyo bekana (chou chinois) cultivés dans l'unité Veggie de l'ISS.
Les conditions spatiales créent un stress pour les humains et les plantes, de sorte que la conception de plantes capables de pousser dans les engins spatiaux et d'aider à atténuer certains des stress subis par les astronautes est actuellement à l'étude.
Les gènes impliqués dans les réponses au stress des plantes ont été identifiés, mais pour réduire ou atténuer ces effets, les scientifiques doivent modifier l'expression des gènes existants ou ajouter des gènes d'adaptation à l'espace dans les génomes. Ceci peut être réalisé en utilisant l'édition de gènes et certains gènes candidats ont déjà été spécifiquement identifiés et étudiés. Par exemple, ARG1 (Altered Response to Gravity 1), un gène connu pour affecter les réponses à la gravité chez les plantes sur Terre, est impliqué dans l'expression de 127 gènes liés à l'adaptation aux vols spatiaux. La plupart des gènes altérés dans l'expression dans les vols spatiaux se sont avérés dépendants de Arg1, suggérant un rôle majeur pour ce gène dans l'adaptation physiologique des cellules indifférenciées aux vols spatiaux. HsfA2 (Heat Shock Factor A2) a un effet significatif sur l'adaptation au vol spatial, par exemple via la biosynthèse de l'amidon. L'objectif est d'altérer les gènes inducteurs de stress et de promouvoir ceux qui sont bénéfiques.
D'autres gènes, appelés gènes d'adaptation à l'espace, tels que les gènes liés au rayonnement, au perchlorate, au nanisme et au froid, méritent potentiellement d'être étudiés car ils aideraient les plantes à résister aux conditions difficiles de l'espace. Par exemple, les micro-organismes adaptés aux environnements hypersalins possèdent des gènes de résistance aux UV et de résistance au perchlorate. De nombreuses variétés naines (par exemple de blé) ont déjà été cultivées sur l'ISS et la tomate cerise naine 'Red Robin' pourrait être cultivée dans l'ISS dans le cadre de l'expérience Veg-05 de la NASA.
Nous pouvons également concevoir des plantes pour la santé des astronautes. Favoriser l'accumulation de composés bénéfiques, fabriquer des plantes comestibles pour tout le corps pour réduire les déchets ou concevoir des plantes pour produire des médicaments contre les effets secondaires de l'espace sur les astronautes sont des moyens possibles de rendre les plantes utiles pour l'équipage.
Une stratégie Whole-Body Edible and Elite Plant (WBEEP) a été utilisée sur les plants de pomme de terre, rendant les tiges et les feuilles de pomme de terre comestibles en enlevant la solanine de celles-ci. Pour inhiber sa production, les gènes qui le produisent sont réduits au silence ou mutés par édition de gènes. La création de cette pomme de terre WBEEP présente des avantages car il s'agit d'une plante facile à cultiver qui est une bonne source d'énergie et qui s'est avérée capable de pousser dans des conditions difficiles telles que l'espace. Les plantes ont également été fortifiées pour répondre pleinement aux besoins en nutriments du corps humain.
Les radiations affectent négativement la croissance des plantes et augmentent les risques de mutations génétiques, la protection des plantes contre les radiations devrait donc être une priorité
L'un des principaux problèmes de santé des astronautes en microgravité est la perte de densité osseuse. Nos os sont constamment équilibrés entre la croissance et la résorption, permettant aux os de réagir aux blessures ou aux changements d'exercice. Passer du temps en microgravité perturbe cet équilibre, faisant basculer les os vers la résorption, de sorte que les astronautes perdent de la masse osseuse. Cela peut être traité avec un médicament appelé hormone parathyroïdienne, ou PTH, mais il nécessite des injections régulières et a une durée de conservation très courte, ce qui est problématique pour les longs vols spatiaux. Par conséquent, une laitue transgénique produisant de la PTH a été conçue.
La conception de plantes capables de pousser dans l'espace et d'être utiles aux astronautes en est encore à ses débuts de recherche. Cependant, ses perspectives sont très prometteuses et sont étudiées par toutes les grandes agences spatiales. Construire une chambre de croissance végétale dans l'environnement peu accueillant de l'espace nécessite encore du travail. L'un des enjeux sera d'ajouter la partie biorégénérative du BLSS au LSS déjà existant. Un autre défi est la nécessité d'un meilleur choix de cultures à cultiver à bord pour à la fois résister aux conditions d'espace et offrir des rendements significatifs. Mais grâce à la diffusion des connaissances en sélection végétale, l'édition de gènes dans les cultures choisies permettra de les adapter davantage aux conditions spatiales et de répondre aux besoins nutritionnels et sanitaires d'un équipage.
Une source: https://room.eu.com